Dans son quartier, Venance n’est jamais très à l’aise, il vit de plus en plus mal les remarques et moqueries sur son surpoids. Bien que protégé par sa sœur Florise, il est victime d’agressions quotidiennes, jusqu’au cœur de sa famille. Son corps réagit : son surplus de poids prend chair pour devenir un exutoire à son mal-être.
Voici en quelques lignes le sujet de Prends chair, le premier court métrage professionnel d’Armin Assadipour, animateur et réalisateur français d’origine iranienne, diplômé de l’EMCA à Angoulême et de la prestigieuse école de réalisation valenciennoise La Poudrière (promotion 2014).
Un film de genre sur lequel règne un monstrueux et émouvant tueur en série déchiré par son ressentiment et dépassé par son propre corps, qui va commencer sa vie en festivals, distribué par Miyu Distribution.
Ce sont Les Astronautes qui ont produit ce film inspiré de la propre histoire du réalisateur.
Fondée en 2018 par Jean Bouthors, Vanessa Buttin-Labarthe et Rémy Schaepman, cette société de production et de distribution pour le cinéma, la télévision et les nouveaux médias, est installée au cœur du Pôle de l’image animée de La Cartoucherie, sur le territoire de Valence Romans Agglo et du Département de la Drôme. Elle dispose également d’un studio d’une quarantaine de postes qui évoluent en fonction des productions.
Qu’ils soient en animation, en prise de vue réelle, de fiction, documentaires ou interactifs, Les Astronautes proposent des films au parti pris narratif et esthétique fort, au sein desquels Prends chair a incontestablement toute sa place.
Rencontre avec Jean Bouthors, auteur-réalisateur-producteur, un des co-fondateurs des Astronautes, une société qui s’engage.
Toon Boom : Comment sont nés Les Astronautes ?
Jean Bouthors : J’étais à l’époque chez Folimage (NDLR : studio d’animation historique installé lui aussi à Valence, créé en 1981 par Jacques-Rémy Girerd), assistant réalisateur sur la première saison de la série Tu mourras moins bête (NDLR : série réalisée par Amandine Fredon, Helen Friren et Pierre Volto d’après le blog dessiné de Marion Montaigne)
Vanessa est arrivée comme chargée de production, sa première expérience en animation car elle vient de la prise de vue réelle. Elle a vraiment un profil beaucoup plus « production » que moi. C’est d’ailleurs elle qui a en charge la gestion de la société et je m’occupe du studio, venant de la fabrication où j’ai touché un peu à tout. J’ai été animateur, décorateur, storyboarder, j’ai fait pas mal de compositing et j’ai été aussi assistant réalisateur. Je viens de la formation à la réalisation de la Poudrière.
On s’est tous les deux hyper bien entendus et comme j’avais un autre projet en cours d’écriture avec Folimage, sur lequel Vanessa était en charge du développement, cela nous a permis de déjà bosser ensemble quelques années. Le projet a finalement été mis en pause et nous avons quitté la société pour monter Les Astronautes et pouvoir faire, notamment, des productions plus destinées à un public adulte. Avec une grosse envie de faire du cinéma, en particulier en animation par ce que l’on aime vraiment ça.
Nous avons travaillé par exemple sur Le Sommet des Dieux (NDLR : réalisé par Patrick Imbert et produit par Folivari, Julianne Films et Mélusine Productions), en particulier sur toute la mise en couleur et le compositing. En plein confinement… Mais c’était un très bonne collaboration et le résultat est franchement magnifique.
Et nous avons aussi travaillé sur le suivi de fabrication du teaser de Sirocco et le Royaume des courants d’air (NDLR : produit par Sacrebleu Productions et réalisé par Benoit Chieux, le film sera terminé au printemps 2023 pour une sortie prévue en décembre). Ce sont vraiment des productions comme nous avons envie d’en faire nous aussi.
Mais si jamais un projet se présente et que la prise de vue réelle nous semble la technique la plus adaptée, on en fera.
Toon Boom : C’est la philosophie qui a présidé à la création de votre société.
Jean Bouthors : Quand on a réfléchi à la création des Astronautes avec Vanessa, c’était avec l’idée de vraiment mettre la technique au service des films. Nous savions à peu près comment on fabrique, mais le défi était d’essayer de trouver à chaque fois, pour chaque film, la meilleure façon de faire pour rester fidèle au projet voulu par les réalisateurs et les réalisatrices.
Toon Boom : Toi-même, tu réalises actuellement un film en 3D temps réel ?
Jean Bouthors : Oui, depuis le départ, j’ai cette envie de faire des films et j’en ai eu l’occasion tout au long de ma petite carrière. J’ai pu écrire et réaliser quelques projets, dont effectivement le dernier, Kidnapping à Vostok, un court métrage en réalité virtuelle 3D temps réel.
Nous avons aussi produit Vercors, de Lyonel Charmette, qui est un projet intéressant parce que c’est un vrai mix de techniques. A la fois de la prise de vue réelle, de la 3D et de la 2D. On vient de le finir et on est très contents du résultat.
Toon Boom : Et Prends chair qui est arrivé aussi très vite dans la vie de votre société.
Jean Bouthors : Absolument. Un projet qui, pour la petite histoire, n’a pas été initié par nous mais par une société de production de prise de vue réelle spécialisée dans les films de genre qui s’appelle UProduction, rachetée pendant le développement par un nouveau propriétaire qui n’a pas souhaité poursuivre le film. A l’époque, on faisait uniquement de la prestation, de la fabrication. Mais le projet nous plaisait et on a décidé d’en récupérer les droits et de le produire.
C’est un projet un peu particulier puisque là encore, c’est un mélange de techniques.
Il est assez réaliste dans ses proportions, dans son style graphique mais l’économie d’un court métrage ne nous permettait pas de prendre trop de temps pour l’animation. Nous avons réfléchi à la manière dont on pouvait arriver à avoir ce niveau de dessin, de respect des proportions dans les personnages, etc… dans une économie restreinte. L’ensemble des décors est fait en 3D et l’animation des personnages est faite en dessin mais à partir d’un layout 3D. En gros, les personnages ont été modélisés et posés dans les décors pour servir de référence à toute l’animation faite sur Harmony à partir d’exports depuis Blender.
Les décors en 3D ont donné une vraie liberté pour les mouvements de caméra ce qui était vraiment un point très important du projet. On est vraiment encore une fois, sur du film de genre, avec les codes du genre, une façon de mettre en scène très mobile.
Quant au choix d’Harmony pour l’animation, il s’est imposé car c’est un logiciel en vectoriel qui permet une vraie marge de manœuvre sur l’animation.
Toon Boom : Qu’est-ce qui vous a particulièrement séduit dans ce projet ?
Jean Bouthors : Au-delà du propos, de la force du récit et de sa proposition artistique, en tant que producteur, ça a d’abord été un « petit » défi. Armin avait eu un Prix pour une résidence à Ciclic en pitchant son projet au Festival national du film d’animation de Rennes Métropole. Mais lorsqu’on est arrivés, le temps pour aller faire l’animation en résidence c’était quasiment écoulé et l’on risquait de perdre ce financement… Pour résumer, on était en début d’année, avec un film pas du tout financé en dehors de cette aide, pas du tout prêt à partir en production financièrement -Armin lui, avait fini le storyboard- et avec cette échéance de l’être absolument avant la fin de l’année pour aller animer à Ciclic. Ce qui signifiait faire l’ensemble des décors, des layout, du posing entre temps pour pouvoir faire travailler l’équipe à Vendôme.
C’était un peu tendu ! On a donc avancé les financements en se disant qu’on l’on arriverait à décrocher des aides. C’est ce qui s’est passé puisque le CNC, puis des chaînes locales, Bip TV et Télé Tours (qui financent assez bien d’ailleurs), nous ont rejoints.
Toon Boom : Quel budget avez-vous réussi à réunir ?
Jean Bouthors : Sur le film on est autour de 210 000€ en coût, dont 140 000€ de fonds publiques. Avec une équipe de 4 personnes à l’animation dont Armin.
Mais on a eu plein de bonnes surprises sur ce projet car globalement, on a pu avoir tout ce que l’on pouvait aller chercher. Et on est allé faire le compositing chez Folivari juste après avoir fini dans notre studio, celui du Le Sommet des Dieux. C’était assez marrant de se renvoyer en quelque sorte, l’ascenseur.
Armin a vraiment réussi à s’adapter et c’était une vraie force. Il a trouvé toutes les solutions techniques, notamment celle de la 3D en sachant qu’il fallait que l’on rentre dans cette économie pour que le film puisse exister.
Toon Boom : C’est un projet très personnel pour lui.
Jean Bouthors : Oui, c’est une histoire vraiment personnelle. Il avait envie de parler de ce qu’il avait vécu jeune. Il était en surpoids lui-même et malgré les années, le fait que ce ne soit plus du tout le cas aujourd’hui, c’est quelque chose qui continue de le questionner.
Toon Boom : Et d’être une question dans la société globalement, où le regard qu’on porte sur les personnes en surpoids est assez violente.
Jean Bouthors : C’est encore vraiment une discrimination qui est tolérée. Quelqu’un peut dire « je n’aime pas les gros » et ça peut passer, ce qui paraît complètement aberrant.
Et l’autre idée de départ d’Armin, c’était de réaliser un film de genre. Quelque chose d’assez fort pour lui qui est fan de ce cinéma et qui permettait de prendre de la distance par rapport à son sujet. Il voulait s’amuser avec ces codes, grossir les traits, faire en sorte que la mise en scène permette d’aller assez loin.
Toon Boom : L’univers graphique du film rappelle celui de deux autres artistes, Fabien Corre et Kelsi Phung, les réalisateurices du court Les Lèvres gercées, sur l’identité de genre, avec lesquels vous avez également collaboré.
Jean Bouthors : Je suis tombé sur ce court métrage, leur film de fin d’études aux Gobelins, il y a quelques années. Le travail est dingue, le sujet est extrêmement fort. J’ai très envie de faire un projet avec cette thématique-là qu’il me semble très importante de défendre.
On s’est donc lancés avec elles.eux dans un projet de série, Pour exister, qui cherche à donner une voix au quotidien et aux luttes des personnes trans et non-binaires en partant de leur point de vue. Il a été présenté au Forum Cartoon il y a 2 ans et y a été très bien reçu, avec beaucoup d’intérêts signifiés, notamment de plateformes américaines. Malheureusement, iels ne travaillent plus ensemble et nous avons décidé d’arrêter le projet qu’il n’était pas question de faire sans eux. C’est leur histoire et pour nous, il est évident que ce doit être un sujet traité par les personnes concernées.
On a juste finalisé et allongé légèrement un premier teaser qui avait été présenté au movie pour faire en sorte que ce film-là existe et puisse être montré. Ce qui sera le cas par exemple à Annecy, dans le cadre de la thématique « Fiertés et diversité ».
Et par ailleurs, on continue à travailler sur ce thème à travers d’autres projets, notamment de séries.
Avec Les Astronautes, ça nous intéresse d’aborder des problématiques de société comme avec le film d’Armin qui parle de grossophobie. (NDLR : Les Astronautes sont également très engagés sur le terrain de l’éco-responsabilité à travers, notamment, de l’association La Cartouch’ Verte)
Toon Boom : Vous avez également travaillé un peu sur le court métrage La Fée des Roberts de Léahn Vivier-Chapas, produit par Folivari, à l’esthétique Queer ?
Jean Bouthors : On a hébergé dans notre studio la réalisatrice qui vit à Valence et on a fait un peu de Blender pour eux sur ce projet.
Toon Boom : Tous ces projets présentent un graphisme dont les influences semblent proches.
Jean Bouthors : Il y a effectivement des références communes. Notamment l’animation japonaise qui a vraiment marqué cette génération. Mais qui a aussi une vraie culture de la BD franco-belge. Il y a un mélange entre tout ça, avec des cernés uniformes, un style graphique qui est assez réaliste mais avec des proportions, des déformations, qui rappellent parfois le manga.
Et ce sont aussi des artistes qui s’inspirent aussi pas mal les uns des autres. Kelsi a été à l’EMCA à la même période qu’Armin. Leahn était à La Poudrière avec lui. Ce sont des gens qui ont fait une partie de leurs études ensemble et qui se connaissent. Il y a eu du ping pong dans leurs processus de création, c’est sûr.
J’aime bien le mot « percutant » pour parler de leur travail. Ils ne créent pas uniquement une belle image, mais une image qui ne laisse pas indifférent.
Toon Boom : Comment avez-vous rencontré Armin ?
Jean Bouthors : Et bien il habite lui aussi à Valence, il a fait La Poudrière d’où je viens également et où j’interviens régulièrement, c’est un réseau qui est très fort. C’est quelqu’un avec qui on travaille beaucoup, en ce moment, il est chef animateur avec nous sur La petite morte par exemple (Doncvoilà Production), et donc ça a été assez naturel en fait.
Il y a à peu près la moitié des gens qui travaillent au studio qui sont issus de La Poudrière. Ils sont à la fois techniciens et auteurs et forcément, a un moment donné, ils nous présentent des projets.
On a vraiment beaucoup de chance parce qu’on a à la fois des producteurs qui nous ont fait confiance très vite et nous ont permis de montrer ce que l’on savait faire, comme Folivari pour Le Sommet des Dieux, et un lien assez formidable avec les auteurs. C’est vraiment quelque chose d’extrêmement précieux.
Toon Boom : Voir les talents de l’animation passer de réalisateur ou réalisatrice à « simple » technicien.nes sur les films de leurs pairs, c’est assez remarquable, non ?
Jean Bouthors : Je raconte souvent cette histoire, mais mon intérêt pour l’animation est venu d’abord de ma passion pour le cinéma plutôt en prise de vue réelle. J’ai eu l’occasion, pendant mes études, d’aller sur quelques tournages et j’ai découvert un univers extrêmement hiérarchisé, avec des gens qui doivent passer par l’intermédiaire de l’assistant pour parler au cadreur à qui va parler le chef op, etc. Comme je dessinais par ailleurs, je me suis peut-être tourné au début vers l’animation car je sentais beaucoup moins cette sensation de hiérarchie dans les relations. Il n’y a pas de starisation comme on l’a dans la prise de vue réelle. Même un réalisateur ou une réalisatrice extrêmement connu.e restera dans un certain anonymat et ça change beaucoup de choses. On est entièrement au service des projets, même s’il y a de forts egos et que cela permet à des films d’exister.
Mais en tout cas il y a quelque chose d’effectivement assez magique à se dire, OK, on y va chacun notre tour. Il faut bien sûr se rendre compte aussi de la nécessité financière de travailler car les projets d’animation sont des projets au long cours…
C’est quelque chose qui nous apporte beaucoup et on a monté le studio avec cette idée de créer un espace où les gens se sentent vraiment bien.
Toon Boom : Pour reparler technique, aviez-vous déjà utilisé Harmony sur d’autres productions ?
Jean Bouthors : Oui, sur Le sommet des Dieux. Et on vient de terminer aussi sur Harmony, notre partie de production exécutive pour Silex Animation sur Les Qui Quoi, une série produite par Doncvoilà production et Silex Films avec Mélusine au Luxembourg et Panique! en Belgique.
On a fait un premier pilote en 2020 puis deux épisodes complets au studio. Et les décors, les design et les rigs pour l’ensemble du reste de la série. On connait bien aussi maintenant Harmony du côté puppet.
C’était aussi un très beau projet pour nous, une série jeunesse que je trouve assez géniale, très bien mise en scène.
On démarre une autre fabrication pour Doncvoilà, la quatrième saison de La petite morte de Davy Mourier d’après ses BD éditée chez Delcourt que j’évoquais tout à l’heure. Les 3 premières saisons avaient été faites sur un autre logiciel et pour cette nouvelle saison dont on a récupéré la fabrication on est passé entièrement sur Harmony.
Toon Boom : Là encore, un choix dicté par un critère en particulier ?
Jean Bouthors : On commence à bien maîtriser l’outil en termes de pipeline et c’est un vrai confort de travail. Il a été difficile de récupérer des éléments des saisons précédentes, on a tout refait. Mais l’idée était aussi de réfléchir à la suite, en prévision de possibles autres saisons, pour bénéficier notamment du système de banque Harmony qui est très bien fait.
Toon Boom : C’est donc vraiment un choix assez radical, même de la part de Doncvoilà…
Jean Bouthors : Oui mais c’est aussi un gain de temps sur l’exécution de l’animation avec cet outil.
Une fois tout mis en place, les équipes peuvent dérouler en ayant tout ce qu’il leur faut.
Par exemple, des cycles de marche réalisés par les animateurs sur certains personnages peuvent être utilisés sur d’autres personnages. C’est tout un tas de choses comme ça qui permettent d’être un peu plus productifs.
Toon Boom : Ce qui n’est pas du tout le cas pour Prends chair qui est une œuvre unique.
Jean Bouthors : On ne réutilise effectivement rien, tout est fait vraiment au plan et bien entendu, dans une économie qui est pas du tout la même que pour une série. Mais le côté vectoriel d’Harmony est vraiment très intéressant dans ce cadre-là.
Toon Boom : Prends chair est terminé depuis quelques mois maintenant, mais Les Astronautes ne quittent pas pour autant le genre puisque vous reprenez un projet de série que tu avais laissé de côté depuis des années…
Jean Bouthors : Oui, nous avons relancé un autre projet, de science-fiction celui-là, que j’avais initié il y a quelques années chez Folimage et qui s’appelle La 4e planète.
On en a récupéré les droits et on démarre un développement qui se fera avec Sun Creature (Charlotte de la Gournerie).