Depuis novembre 2019, TF1 diffuse, avec une part d’audience moyenne de +35 % sur les 4-10 ans, une nouvelle saison de la série iconique. Derrière l’énorme succès de ces 52 nouveaux épisodes de 11 minutes, NormAAl Animation, une des sociétés françaises du secteur de l’animation les plus inventives de ces 20 dernières années. Depuis sa création en 2002 par l’auteur et réalisateur Alexis Lavillat, NormAAl « avec 2 AA », évolue entre propriétés mAAjeures (Peanuts de Schultz, Gaston Lagaffe…) et remarquAAbles œuvres originales (Bonjour le monde, Toofa Toofa, Woolly Woolly…) à l’enthousiasmante créativité.
Rencontre avec Alexis Lavillat et Damien Levy, producteur exécutif, pour découvrir les coulisses de la fabrication sur Harmony, de Barbapapa au moment où l’écriture d’une nouvelle saison commence.
Comment s’inscrit-t-on dans l’histoire d’une propriété aussi emblématique que Barbapapa, qui a déjà accompagné 3 générations ?
Alexis Lavillat : On ne réinvente pas la roue mais on la fait tourner avec respect. Le succès énorme des Barbapapa depuis 50 ans et dû à de bonnes raisons, on ne va pas essayer d’être plus malins que la force initiale de la création. En revanche, on fait en sorte qu’elle soit naturelle dans l’époque dans laquelle on vit. Via des outils nouveaux, via une nouvelle façon d’appréhender l’animation et via une narration contemporaine.
Comment êtes-vous arrivés sur ce projet ?
AL : Nous nous sommes rencontrés car Alice et Thomas Taylor, les enfants d’Annette Tyson et Talus Taylor, les créateurs, cherchaient des solutions pour faire une nouvelle saison et que nous étions intéressés par le projet. Ils ont été sensibles au fait que nous avons des studios intégrés et que nous fabriquons 100% maison. C’était un argument important pour eux car les saisons historiques ont été faites dans cet esprit-là.
Graphiquement, les Barbapapa sont restés les mêmes, comme dans ma mémoire depuis l’enfance.
AL : Mais c’est une merveille de trouvaille graphique, très très en avance sur son temps. Tout en étant pertinent avec son époque. C’est quand même rare pour un univers d’allier les deux.
On ne pouvait que perpétuer cette esthétique parfaite.
Comment avez-vous abordé la partie écriture ?
AL : Ça s’est fait très naturellement. Ce sont Alice et Thomas qui ont entièrement écrit et réalisé cette nouvelle saison. C’était leur souhait et on l’a volontiers accueillie. Étant immergés dans l’univers depuis leur naissance, je pense qu’ils sont plutôt pertinents (rires). Et nous sommes vraiment très contents du résultat.
Ils perpétuent en fait la tradition familiale. Dès l’origine, leurs parents ont écrit les livres mais aussi écrit et réalisé les séries d’animation. C’est une culture familiale.
Les épisodes des premières saisons durent 5’, les nouveaux 11’. Pourquoi ce changement de format ?
Damien Levy : C’est un format international avec la possibilité de développer des enjeux narratifs plus importants. Les réalisateur·rice·s avaient aussi cette volonté de moderniser l‘univers en donnant leur propre voix aux personnages. C’était un narrateur qui racontait l’histoire sur les saisons historiques, nous avions donc besoin de plus de temps pour développer les dialogues.
Le premier épisode de cette nouvelle saison revient à la fois sur la naissance des Barbapapa dans le jardin de deux jeunes humains, Claudine et François, et aborde le sujet de l’environnement. Une thématique qui coure tout au long de la série ?
AL : Plus que l’environnement, c’est la prise de conscience écologique et c’est une des données de constitution de Barbapapa dès l’origine. Dès les premiers ouvrages, en 1970, quatre avant que René Dumont, le premier candidat sous l’étiquette écologiste, ne se présente à une élection présidentielle française. Ils ont vraiment été pionniers en la matière et c’est donc effectivement une des données qui a été maintenue. Sachant que le sujet est encore plus criant aujourd’hui.
Quels sont les autres sujets qui constituent l’identité de cette série ?
DL : La famille évidemment. C’est une grande famille, et chaque épisode met en avant un de ses membres, les parents, l’adelphie ou la famille dans son ensemble.
AL : Dès l’origine, les Barbapapa ont vécu à leur époque et c’est toujours le cas aujourd’hui. Il n’y a pas de nostalgie des années 70. Ça reste toujours contemporain.
En termes de fabrication, de technique, comment avez-vous travaillé ?
DL : Nous travaillons d’abord l’esthétique, la technique doit ensuite s’y adapter. On a fait dès le départ un gros travail sur les décors, avec pas mal de recherches et de discussions avec les ayants droits. Car en 50 ans, le style a beaucoup évolué.
Quant au choix de la technique, il a été dicté par la nature même des personnages. Nos productions 2D sont fabriquées principalement en cut-out numérique (avec des marionnettes
style papier découpé). Ce n’était pas entièrement adapté aux Barbapapa qui se transforment en permanence et qui ne sont pas composés d’éléments distincts (visage, tee-shirt, pantalon, etc…) mais d’une seule grande forme. Harmony nous permettait à la fois d’animer librement, en dessinant les poses, et d’animer avec des marionnettes, le tout en ayant un meilleur contrôle sur le dessin vectoriel. C’est donc logiquement que nous avons adopté ce logiciel.
AL : Juste une précision, dès le premier contact, nous étions d’accord avec Alice et Thomas pour faire un programme en 2D, pour être respectueux de l’image classique de Barbapapa. Et comme l’a dit Damien, il fallait ensuite aller chercher les meilleurs outils pour obtenir cette esthétique-là.
DL : Les marionnettes nous aident à garder le dessin de base. Car même si les personnages ont une forme très simple, c’est ce qu’il y a de plus compliqué à conserver. Si l’on déplace l’œil, ne serait-ce que d’un pixel, on rate tout de suite le modèle.
Là où il est important de pouvoir faire du dessin libre, c’est dans le passage de la marionnette à la pose transformée. Cette forme, on va d’abord la dessiner puis la faire valider par les réalisateur·rice·s. C’est très construit, mais pour le passage de l’une à l’autre, on a besoin de quelque chose de libre, nous sommes presque dans de l’abstrait et il faut que l‘animation soit le plus fluide possible. Ce qui nous guide, c’est d’une part le respect des proportions. Même transformé, chaque Barbapapa conserve son volume d’origine. Et d’autre part, les nombreux codes qui existent pour chaque personnage, nous sommes dans une logique très logotypée.
Montage vidéo
Concernant le partenaire diffuseur français, TF1 a tout de suite était dans la boucle ?
AL : Oui, c’était une évidence. TF1 est par ailleurs partenaire de l’univers Barbapapa sur tout le merchandising et les différentes déclinaisons de la marque. C’est « la maison » de Barbapapa en fait.
DL : Et la chaîne diffusait encore les saisons historiques.
Cette nouvelle saison a, elle aussi, été vendue à l’international ?
AL : Absolument. C’est la branche distribution de NormAAl, FestivAAl Distribution, dirigée par Marc Dhrami, qui s’occupe de la distribution internationale. Aujourd’hui, nous avons des versions en 27 langues et la série est présente dans à peu près 140 territoires.
Le monde entier en fait ?
AL : C’est ça. Par définition, l’Animation est internationale. Et pour un univers aussi mythique que celui-là, la série a été conçue dès le départ avec cette dimension.
Avez-vous des coproducteurs internationaux ?
AL : Pas des coproducteurs, mais un partenariat avec Nickelodeon Junior. C’est donc une production 100% française et 100% fabriquée en France dans les studios de NormAAl. A Paris, chez NormAAl Animation, mais majoritairement à Angoulême, au sein de NormAAl Studio (NDLR : créé en 2009).
DL : Y compris le son.
Car vous avez effectivement aussi un studio son.
AL : Oui, à Paris, StandAArd, quasiment depuis la création de NormAAl. Nous sommes un « Petit Territoire Autonome de l’Animation ». Nous faisons tout, de A à Z.
DL : De l’écriture à la livraison des PAD. Et nous faisons évoluer nos outils pour répondre et anticiper les besoins des diffuseurs.
Sur Barbapapa et grâce à Harmony, nous avons fabriqué notre première série entièrement en vectoriel, des personnages aux décors. On le disait tout à l’heure, les premières saisons sont toujours diffusées, 50 ans après leur fabrication. Nous avons donc besoin de pouvoir exporter ce programme dans la définition la plus grande possible, c’est-à-dire aujourd’hui 4K ou 8K, pour que dans 10 ou 20 ans, on puisse toujours la diffuser sans que la qualité soit altérée.
Barbapapa en famille a été fabriquée en HD, mais on peut la livrer dans une définition plus grande sans aucun souci.
Est-ce que la diffusion dans ces formats est déjà une réalité ?
AL : Ce n’est pas encore réellement une demande des diffuseurs à l’heure actuelle, mais nous sommes vigilants pour notre catalogue.
Vous travaillez sur d’autres évolutions, notamment en prévision de la fabrication de la saison 5 de Barbapapa (52 nouveaux épisodes de 11’) dont l’écriture commence ?
DL : Absolument. Barbapapa en famille était notre première expérience sur Harmony. Nous avons beaucoup évolué sur son utilisation et sommes aujourd’hui bien plus aguerris.
Lorsque nous avons fait les premières versions des pantins, nous ne connaissions pas encore bien le style de la série, les attentes des réalisateur·rices. Tout ça s’est affiné et l’on sait maintenant exactement quoi faire pour être fidèle à l’univers. Nous avons donc refondu l’intégralité du pipeline, en conservant ce qui marchait et en modifiant le reste pour avoir une base particulièrement solide.
Travaillez-vous sur d’autres projets actuellement en capitalisant sur cette expérience du logiciel Harmony ?
DL : Sur Zouk. L’adaptation pour Canal+ des livres de Serge Bloch (Sam-Sam…) et Nicolas Hubesch édités chez Bayard, avec lesquels nous coproduisons la série. Elle sera entièrement livrée en décembre.
Pour en revenir à Barbapapa, est-ce que cette propriété à l’immense notoriété a changé la donne pour NormAAl à l’international ?
AL : Le vrai changement pour NormAAl a vraiment été Snoopy en 2013-2014 (NDRL : 500 épisodes d’1’30). Barbapapa ne fait que confirmer, au même niveau, cette ouverture à l’international. Mais c’est aussi évidemment une propriété très prestigieuse.
Est-ce que la pandémie a considérablement changé votre manière de fonctionner ?
DL : La majorité des étapes de fabrication d’une série se fait généralement sur place car les fichiers sont très lourds, parfois confidentiels et qu’il est important d’être auprès de l’équipe. La pandémie est arrivée à la fin de la production de Barbapapa. C’était en quelque sorte une « chance » car nous savions où nous allions et n’avions plus trop de questions à nous poser, à part un peu de logistique.
AL : C’est l’ambiance qui est la plus impactée. L’état d’esprit d’atelier que l’on cultive depuis le départ. C’est aussi ça qui fait la créativité de nos studios, et sur cet aspect, la crise sanitaire nous handicape plus. Nous veillons toujours à créer une mixité dans les équipes, entre professionnel·les aguerri·es et juniors sorti.es de l’école, et pour eux, vivant souvent dans des petites surfaces, ce n’est pas simple.
Les visioconférences, même si elles permettent de conserver le contact, ne créent pas la même émulation.
L’état d’esprit atelier si cher à NormAAL…
AL : Il y a effectivement un état d’esprit que l’on essaie de cultiver au quotidien. NormAAl a ainsi son identité. Nous avons vraiment une équipe de fidèles et nous les en remercions.
DL : Sur Barbapapa, on peut citer Aurore Sanguinetti, 1 ère assistante réalisatrice, qui a fait un énorme travail de transposition de l’univers en travaillant avec Alice Taylor, qui était aussi la directrice artistique. Jordan Blondeau, le chef board, qui a travaillé avec Thomas Taylor sur la narration.
Clément Pelletier, le chef anim, qui a fait tout le développement sur Harmony avec Justine Leroy. Ou encore David Sauve, le directeur technique de NormAAL qui est également le monteur de la série et Marion Lebastard, chargée de production en titane.
On fait tout pour que les personnes qui travaillent chez NormAAl en aiment l’ambiance. Il·elles ne sont pas uniquement des technicien·nes, mais ont tou·tes des responsabilités sur les tâches qui leur incombent.
AL : Le studio d’Angoulême n’est pas un prestataire du studio parisien. On peut décider de faire une production à Paris ou à Angoulême, mais il n’y a pas de hiérarchie entre les deux studios. Tout le monde travaille simplement pour NormAAl.